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Prix Jaime Torres Bodet : Discours de Bernard Dédié lors de la remise du Prix

Par Le 07/03/2016

Dans Actu magazine

Dadie clijec plumencre.infoDR

Mesdames, mesdemoiselles Messieurs,


Je voudrais, tout d’abord, remercier
la UNAM de MEXICO, la prestigieuse université nationale autonome de ce grand et très ancien pays de culture qu’est le Mexique, pour avoir, en relation avec l’UNESCO, notre maison commune, mis en place un Prix aussi généreux que le Prix Jaime Torres Bodet. Un prix qui porte le nom et rappelle l’action et le parcours d’un écrivain et d’un insigne acteur du savoir : Jaime Torres Bodet.

A l’exemple de beaucoup des grands intellectuels mexicains et des Amériques Centrale et du Sud, Jaime Torres Bodet a mis, au cours de sa vie, ses multiples dons, au service de son pays et de l’humanité.
Cet écrivain qui a excellé dans tous les domaines de la littérature, fut, à plusieurs reprises, en charge, dans son pays, de l’Education, mais aussi un de ses plus fins diplomates et le deuxième des Secrétaires généraux de l’UNESCO.

A ce poste élevé, il a été un intraitable serviteur des idéaux de la noble Institution.
Il a contribué significativement à les renforcer, par son action, quand, autour des années cinquante, le monde se relevait de la guerre de 40-45 et s’ouvrait aux nouvelles espérances d’une Fraternité mondiale vraie, apportées par l’Education et la Culture. Education et culture auxquelles tous doivent pouvoir également prétendre. Il fallait pour mener cette action beaucoup de courage et d’abnégation comme René Maheu eut à le souligner en 1971. Jaime Torres n’en manqua pas.

C’est donc avec un étonnement, un grand plaisir et une modestie sincère que je reçois l’honneur que vous me faites, Madame la Directrice Générale de l’UNESCO et…MMles membres du jury de ce Prix.
Climbié ! Qui l’eût pensé ? A l’annonce de la « nouvelle », il m’est même arrivé de me dire qu’on couronnait, peut-être, autant mon âge avancé que mon travail…Mais allons ! Pourquoi le cacherai-je ? Ce Prix dédié à la contribution qu’une œuvre d’homme, tournée vers l’écriture, l’art et la pensée, mais forcément très imparfaite et limitée dans le temps et l’espace, a pu apporter à l’édification commune d’une vie plus juste et fraternelle sur notre planète, me va droit au cœur.

Permettez-moi d’en partager l’honneur et la joie, avec mon épouse, ma courageuse compagne, Rosalie Assamala Koutoua et avec mes enfants pour leur amour et leur soutien pendant toutes ces longues années traversées, parfois d’une navigation très incertaine !

Permettez-moi aussi d’avoir, ici, une pensée pour tous ceux qui m’ont donné la vie ; pour tous ceux qui m’ont accompagné sur le chemin de l’école et dans l’apprentissage du savoir. Ma mère et mon père en premier lieu, mes oncles, mes maîtres, mes compagnons d’études, mes éditeurs, …mes lecteurs…tous mes lecteurs.

Le statut d’écrivain n’était guère reconnu en certaines régions de l’Afrique quand j’ai commencé à écrire, il y a plus de quatre-vingts ans. L’est-il davantage aujourd’hui ?

« Fou », « fainéant » ou « mendiant » « gêneur ». Les qualificatifs n’étaient en général pas très élogieux.
Et pourtant, de chacun de ceux que j’ai cités, et même des autres, des plus indifférents ou des plus hostiles, j’ai reçu ce « je ne sais quoi » d’impondérable et de nécessaire qui a contribué à forger mon caractère ; à nourrir mon œuvre. Je veux ici, tous, les remercier.

Devinaient-ils, qu’avec une simple plume, en couchant « noir sur blanc », je m’efforçais, tout en parlant de moi, de révéler quelque chose d’eux ; de faire entendre toutes les voix qui nous entourent.
Des voix d’hommes, certes, mais aussi toutes les grandes et multiples voix, par lesquelles s’exprime le vivant sur la planète. Ces voix que notre éducation africaine nous apprenait à déchiffrer, dès la petite enfance. Voix familières du vent, des plantes, des oiseaux, des animaux de notre bestiaire africain.
Et d’abord, les Voix de nos ancêtres, longtemps accordées au monde d’en-haut et à l’environnement dont ils avaient hérité.

Les Voix de nos anciens, qui, au rivage où je naissais en 1916, questionnaient étonnés le monde nouveau qu’on leur imposait, tout en tentant de préserver cette culture héritée dont on voulait les désapproprier.
Les Voix de ma propre jeunesse, de nos jeunesses d’hier et d’aujourd’hui : des voix chargées d’espoirs, en quête légitime d’un monde meilleur, en quête d’écoute, autant que de rencontres et de savoirs nouveaux ; en quête de justice et de liberté, de mieux-être et de bonheur.

Mais aussi toutes ces voix, en écho, d’autres hommes, habitants d’autres lieux sur la planète : des Voix parfois très lointaines et pourtant si proches.


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