Sur les traces de Saër

LES TRACES DE SAËR

HERVE MADAYA

Herve madayaVoilà donc ce qui arrive aux pauvres !

Sensationnel au début comme à la fin, Hervé Madaya sait m’accrocher au bout des lignes tranquilles. C’est une histoire comme pleines d’autres, sauf que la notre est composée, constituée, fabriquée avec une telle dextérité qu’on ne se fatigue pas de se la raconter par des feuilles.

« Parfois, pressées de sortir ou de passer à autre chose dans le lot quotidien de nos travaux ménagères, il nous arrive de prendre notre bain ensemble »*. Et la vie se profilait ainsi, jusqu’au jour où par miracle ou par simple coïncidence des choses, Kony rencontra son Alassane. Son Sane de tous les cieux. Une chose propre aux pauvres est de tenir à ce qu’ils ont. Kony tient à son Sane. Elle croit presqu’en lui. Elle est toute jeune, élève, mais son rêve ne sait pas traverser le seuil du mariage sur lequel elle fantasme. Depuis quelques temps les repas des bidonvilles s’éloignent peu à peu de leur petite famille. La jeune fille devient belle. Si belle qu’elle ne pense plus au probatoire qu’elle compose cette année-et qui pour son compagnon Sane, ne veut rien dire. D’où lui vint ô mon Dieu, l’idée de penser qu’elle pouvait « s’ouvrir » à celui là. Une seule chose explique le drame. Elle, Kony, n’avait que son sexe à offrir. Juste son sexe. Rien de plus. Cette chose maintenant profane que Sane prend avec toute la violence du monde. « Chaque jour, je dois l’aider à réaliser un nouveau fantasme, aussi humiliant que les autres ». […] « Et parfois il est d’une agressivité effrayante. Un jour, il revient du travail avant la fin de la journée, se jette sur le lit en veste et cravate, me demande de me déshabiller.

- Non non , pas comme ça. Fais-le lentement en te trémoussant.

- Je ne sais pas le faire.

- Essaye, Kony, vas-y.

- Je dance quoi ?

- Imagine une musique douce…

J’enlève timidement mon slip. Il semble hors de lui. Alassane sort son sexe en érection et se masturbe devant moi. Je reste planté là, je n’ai pas le droit de bouger…. Il se lève, éjacule sur mon visage et se laisse tomber dans le lit...». Voilà le spectacle affligeant, le résumé alarmant des intimités de Kony, qui ne demande qu’à vivre mieux.

Et comme si la peine ne suffisait pas, la famille de Kony, lui exige un enfant. Un simple enfant, pour sceller le pacte du mariage. Alors, si c’est à ce prix, ce n’est pas trop cher payé. Elle leur donnera leur enfant. D’ailleurs que pourrait-elle donner d’autre que le fruit de ses cuisses. Son examen ne lui dit plus grand-chose. Elle perd, avec le temps qui passe, la confiance en elle-même. Toute la grande existence est réduite en une seule chose. Son mariage. Avec l’homme qui désormais l’oppresse. Ce simple mariage, que Saër, l’enfant qu’elle porte, incarne. L’enfant viendra au monde. Un garçon. Un gros garçon plein de vie. Alors même que sur le lit de l’hôpital Kony attend d’ouvrir pleinement les yeux pour contempler son Saër, elle le verra impuissante, partir, dans les mains d’Alassane et sa famille, les maliens qui disent l’amener pour des rituels, et qui ne reviendront plus jamais. Voilà donc ce qui arrive aux pauvres !

Dans ce livre, Hervé Madaya met à jour un problème essentiel qui semble ne pas préoccuper, mais dont la gravité est centrale. A priori, le thème semble manquer d’intérêt. Mais il y’a des choses qui nous amènent à lire ce roman, sans avoir vraiment besoin de penser à sa valeur thématique ; cependant, au fil des lignes, on retrouve toute la force du texte

Les rapports interpersonnels. Comment le riche aime t-il le pauvre. Si l’amour s’entend comme partage, que donne le pauvre dans la chaîne. C’est cela le cas de Kony. « Si je te donne de l’argent, alors, tu deviens celle qui satisfait mes envies les plus folles. D’ailleurs, c’est ce que fait l’argent que tu reçois ». Au départ, c’est une question d’amour qui se transforme rapidement en une question de dépendance. Et parfois, on se demande ce qu’on fait là, avec l’autre. Pourquoi on arrive à abandonner l’Essentiel de la vie, pour des promesses qui ne tiennent qu’une seule personne à cœur ? Soi-même. Et le temps est si vite qui passe. Souvent c’est comme si on se levait du lit. Et que tout ce temps, l’alchimie de la nuit nous avait entrainé. Généralement il n’ya donc que ça dans le couple : l’amour et l’argent. L’un entretient l’autre, l’un complète l’autre et lui permet de se réaliser. Si à l’un ou à l’autre s’ajoute une autre force, fut-elle visible ou cachée, cela devient l’Arnaque. C’est ce qui arrive ici.



Herve madayaLa pauvreté. « Le travail du corps délivre des peines de l'esprit et c'est ce qui rend les pauvres heureux ». Ainsi s’exprimait le Duc De Larouche Foucault dans ses Maximes. Par Sur les traces de Saër; on pourrait comprendre clairement jusqu'à quel point une jeune fille peut arriver à oublier les choses premières de l’existence : « Faire sa propre vie avant celle du couple ». Sa propre vie ici, consiste à aller à l’école, obtenir, mieux arracher son rang social, faire ses premiers projets d’homme etc. cependant la pression psychologique, la pression physique et le traumatisme qui les accompagne, nous guident plutôt dans un univers où s’évader, est la meilleur des choses. Pas étonnant que le sexe soit central. Cette approche ne se vérifie pas qu’avec Kony, Alassane aussi l’incarne par sa violence. Il est clair que ceux qui vivent bien comme on dirait dans leur peau, n’auraient aucun plaisir à faire souffrir les autres dans l’acte de l’amour. Ce manque du temps de réflexion a ses conséquences dans le reste des choses qui tombent sur le sens de l’esprit de l’homme. À un niveau et à un degré dans ce texte, il ne serait pas exagéré de considérer Kony de prostituée. De pauvre prostituée !

Ramata au contraire, sa sœur, qu’on pourrait juger de pas très attentionnée à la chute au pays des enfers de sa cadette, semble plutôt trouver sa grandeur dans la dignité.

Hervé Madaya perd un peu l’homme dans ce roman pour laisser triompher la femme.

Cette perte de « l’Hommonité» se jour au moins à deux niveaux. Il s’agit tout d’abord de la place accordée aux personnages. En réalité, même si on voit Sane dans le centre du jeu, c’est Phallé, et ses amies, qui font le bon décor. C’est Ramata et sa sœur qui inspire le souffle du roman depuis le début jusqu’à la fin. C’est aux femmes qu’on pense lorsqu’on se fait des potentiels personnages pouvant donner leur contribution à l’autre accomplissement du livre- celui qu’on veut donner.

Un deuxième détail qui ne passe pas invisible c’est bien le personne. La personne qui « reconte ». Il s’agit quand même de Kony. Hervé Madaya est bien un homme. Cela nous fait directement penser aux autres auteurs plus grands comme Gaston Paul Effa. L’un des mérites de ce livre se trouve aussi là.

Roman, presque ‘Exotique, on a les sens qui lisent avec les yeux. Et on comprend pourquoi on le lit de mains sen mains.

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Sur les traces de saer - CLIJEC

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