L’instant du viol a joué les classiques. Mais la cible ne me semble pas manquée, même si de l’annonce du cri du violeur, « si tu essayes de crier je te tue », il faut attendre et traverser 05 pages pour découvrir la scène essentielle que Francine Ngo Iboum réduit en trois mots « il me viola ».
LE COMBAT
Dès l’ouverture du livre, ces mots que Friedrich Nietzsche marquaient fortement dans son ouvrage Le crépuscule des idoles vous accueillent : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Et si on sait que la force et le combat vont ensemble, on comprend pourquoi, dans une histoire de viol, il est important de lever la tête.
Tout l’ouvrage à lui-même est un défit, et l’auteur le doit à Pierre Barry NJEM IBOUM, son cher frère sans qui rien n’aurait été possible. (À César ce qui est à César.)
Le livre est avant tout, ici, un combat. Combat que mène dès le premier mot Francine Ngo Iboum, pour refaire une vie à sa narratrice. En effet, après ses études secondaires, le deuxième personnage central de ce texte (le premier étant le Viol), doit mener son combat social en ville. Comme toute jeune camerounaise, la jeune fille trouve dans la ville de ses psychoses, un toit non loin de son lieu de service (au début du texte). C’est là, que son combat contre son violeur n’aboutira qu’à sa chute et à l’éternel ruminement de cet instant que ceux qui ont été violés n’oublient pas.
Le combat dans Fleur Brisée est aussi celui de la vie. Chaque instant étant chargé de vie et de mort en même temps. Après l’accident de circulation de la mère de la narratrice cette dernière est évacuée dans la nouvelle ville où vivent ses deux filles ( la narratrice et sa sœur Nies.) Chaque nuit dormie est un supplice. « Nous dormions a même le sol » : nous sommes bien dans un hôpital, pesez vous-même la force du combat.
Ce combat est également marqué par Ten, un personnage d’un rôle majeur dans le texte, qui jusqu’à un certain moment ne souffre qu’à vivre comme un homme vivrait dans un foyer avec ses femmes. Sa vie est un autre calvaire, peut-être un peu moins que celle de notre jeune fille dévoilée, mais calvaire tout de même. « J’avais connu Ten à une époque très tourmentée de sa vie, époque pendant laquelle il était rempli de ressentiments envers le monde entier. A vingt-huit ans, il n’avait ni femme, ni enfant et surtout pas de boulot. Il se sentait déjà trop vieux et perdait un peu plus d’espoir chaque jour qui passait. »
C’est dans le souci de mener ce combat de façon définitive que le livre s’accompagne d’un ensemble de conseils pratiques qu’il vaut mieux tenir en compte.
TRAGIQUES
Le viol est là ! Dans une société perdue et abandonnée à elle-même. À ce titre, il faut partir de cette triste histoire sérieusement contée par Francine Ngo Iboum pour examiner la société dans son comportement. Les crimes rituels,- il y’a quelques jours on en annonçait encore au Ministère camerounais du crime sis à Minboman- et les disparitions subites s’ajoutent au chapelet des malheurs qui passent comme ça, sans être pris au sérieux, et contribuent à renforcer la peine d’une jeunesse assez problèmée et souffrante. Il convient d’ajouter à cette liste, (bien que non mentionnée par notre héroïne dans Fleur Brisé), le viol de la conscience et le mépris de la condition des pauvres, deux maux dont les coupables sont les églises de réveille.
Contée dans un ton calme et particulier, cette belle histoire de viol plutôt tragique arrive à émouvoir nos sens au point de nous amener à militer contre ou pour quelque cause importante. Tout y est ! Du viol répété «… en se rapprochant, il avait vu une jeune fille à demi inconsciente. Elle avait été violée toute la nuit, au même endroit que moi », en passant par les pertes de documents intimes « j’avais l’impression d’oublier quelque chose et j’avais raison, je ne retrouvait plus mon journal numérique » à la mort, « elle s’est mise à pleurer et m’a dit qu’il faut qu’on aille chez nos parents. Mon cœur s’est mis à cogner très fort contre ma poitrine. J’ai compris qu’il y’a un sérieux problème…elle a fini par m’annoncer la nouvelle : notre neveux de cinq ans, Miguel, venait de mourir… ». « Miguel ! Mon bébé ! Mort !!! » « …c’est le troisième enfant qu’elle enterre en moins d’un mois et de mi. Elle vient de perdre ses jumelles il y’a deux semaines », « « Miguel mort! ». Oui, mort et enterré ! Le rejet de la vie semble nous gagner l’existence. Voilà l’atmosphère qui couvre tout le texte. Cette juxtaposition d’événements tragiques - telle que retrouvée dans les contes citadins de Patrice Nganang, L’Invention du beau regard, éditions Gallimard, renforce notre intimité avec le texte via sa narratrice, autour de laquelle, le monde s’effondre.