Les poètes se sont présentés au départ comme des « créateurs », un peu comme celui qui est au centre de la Genèse. Hugo écrit dans Les contemplations, « Car le mot c’est le Verbe et le Verbe, c’est Dieu ». Les poètes se font dès lors appeler demi-dieu, et déclarent être en phase avec les autres dieux. Certains le leur ont accordé, moi, non. Car aussi longtemps que la poésie sera choc des sens et des sensations, c’est toujours au contexte que reviendra la tâche de faire le poète. Certains se sont faits « voyants », « prophètes » à la suite, on connait les poètes mages et leur pouvoir d’assurer la transition entre le passé et le présent. Hugo écrit dans son roman Les Misérables, « Le 19ème siècle est grand, mais le 20ème sera heureux ». La poésie elle-même, sous l’influence des poètes, a connu de profondes mutations. L’art qui consistait à jouer le sublime dans des formes sublimes, et pour un auditoire distingué, s’est désormais transformé en un moyen de révolte, aussi bien dans sa forme que dans son fond. On y ressent même du profane. Lisons par exemple ces poèmes de quelques audacieux.
« Et l’unique cordeau des trompettes marines ». Alcools, pp 36, Gall, 1913 « Chantre ».
« Un certain Blaise Pascal / etc…etc… » Paroles, pp188, Gall, 1949 « Les paris stupides ». Ces textes ne sont pas des extrais. C’est des poèmes. Donc deux poèmes, une ou deux lignes.
Ce sens de révolte et d’audace profondément ancré dans l’esprit du poète, puise sans doute ses forces dans ce hasard premier qui donne au poète la chance d’être « créateur ». Quand on est créateur, on est tout le temps à l’affût des choses nouvelles…
I- Les forces du « Je » social et ses étendues.
L’une des forces majeures du poète est cette chance que lui a donnée la société de parler au nom de tous. Victor Hugo ou le Premier des audacieux pense dire son « je » au nom des tous. Dans la fameuse phrase, qui lui sert de bouclier aux bombes communautaristes, il ose même traiter celui qui ne le saurait d’Insensé « Quand je parle de moi, je parle de vous, ah insensé qui croit que je ne suis pas toi ! ».
Quand il arrive que le poète ne se sente pas assez fort, il n’hésite pas à laisser sa propre personne et parler au nom de l’autre. « Je m’appelle Ouandié », écrit John Francis Shady Eone dans Le testament du pâtre, édition de la Ronde et Clé, 1998. Le poète ici porte simplement le nom de Ouandié, cela parait simple, or, Ouandié est le nom du Cameroun. Ce nom est dans le cœur des nationalistes africains et dans l’Histoire politique et indépendantiste du pays, l’une des pierres angulaires. Hugo est assisté dans cette mission gigantesque par Aimé Césaire, qui dans son fameux Cahier d’un retour au pays natal fait de sa bouche celle des malheurs qui n’ont point de bouche et de sa voix la liberté celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. « Si je ne sais que parler, alors c’est pour vous que je parlerais », conclut-il. Il n’est pas rare de trouver des poètes qui bien que conscients du fait que leur poésie part du cœur n’hésitent pas à offrir au monde ce cœur, lui donnant ainsi une dimension et une grandeur historique. Jeanne Ngo Maï , poétesse camerounaise écrit : « Mon cœur est un monument ». Le cœur est ce que l’homme a de plus singulier, celui de cette poétesse est un monument, « un monument aux morts mal jugés » du Cameroun. Le poète ne se contente pas que d’être le sommet en silence, il le déclare. « J’appelle et mon peuple hésite à me répondre », Shady Eone, Le testament du Pâtre.
II- Toute la Terre appartient au poète.
Chez les poètes africains, l’aspect de la terre est plus marquée, sans doute parce que les terres d’Afriques n’ont reçus que trop d’étrangers. Et en Afrique, la terre est cette espace réservé aux ancêtres et aux autres forces naturelles et supranaturelles. C’est elle qui nourrit les communautés et les abrite, et les recueille aux derniers jours, avant qu’ils n’aillent les ombres et le vent qui souffle…
D’autres effrontés peuvent être Engelbert Mveng, ce Révérend Père qui dans Balafon, Clé 1972, s’offre la terre dans son étendue.
« Je te salue, moi l’Afrique » // « je suis la Méditerranée » // « je suis l’Europe au carrefour des chemins » //, « je suis Rome », « je suis l’Amérique binaire et prolifique » etc.