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Essai sur l'enseignement des langues étrangères en Afrique

Par Le 12/09/2015

Dans Recherches

Books clijec 4L’enseignement des langues étrangères en Afrique, ou plus précisément au Cameroun, s’est inscrit jusqu’ici dans le cadre des relations bilatérales entre le Nord et le Sud sur le plan culturel. Ceci suite au passé colonial qui lie les deux continents et qui demeure inlassablement une justification de la présence européenne en Afrique, mais reste tout de même problématique par le faite de la diversification des partenariats dans les relations bilatérales, avec l’arrivée des nouveaux partenaires qualifiés de puissances émergentes, et l’intensification des relations Sud-Sud.

L’enseignement de l’Europe en Afrique, voire au Cameroun, dans le contexte actuel commence donc à faire débat au moment où la philologie européenne continue à inonder nos différentes facultés, alors qu’il faudrait tout de même jeter un regard sur la mondialisation galopante du 20e siècle, qui peut légitimer la portée de l’enseignement de l’Europe en Afrique, au moment où les contacts sont devenus inévitables (intensification des échanges économiques, mobilisation des idées par l’interconnexion et les réseaux migratoires et diasporiques). On apprend donc une culture étrangère, ou encore une langue par des canaux bien structurés et stratégique pour une propagation ou une vulgarisation de la culture étrangère, mais le risque d’aliénation et la hantise de l’acculturation divisent jusque là les intellectuelles africains et même certains européens. Les plus sceptiques pensent que l’enseignement des langues et cultures africaines et prônent avec énergie l’exclusion de ces langues dans les programmes scolaire des pays africains, pourtant d’autres sont d’avis qu’il faut, en fonction des liens conflictuelles, asymétriques et même historiques entre l’Afrique et l’Europe depuis la période coloniale jusqu’à nos jours, nécessairement étudier les langues européennes, ou encore connaître l’Europe. L’Afrique doit donc prendre l’Europe comme objet d’étude de manière certes critique, mais active. Et « c’est le seul moyen de bien la connaître et de négocier des rapports conscients, assumés et stratégiques avec elle, tant il est vrai que nous avons à apprendre sur l’Europe, de l’Europe et par rapport à l’Europe pour nous comprendre nous même et nous positionner dans le monde. » En attendant de trouver un compromis, qui depuis des décennies paraît mission impossible, on peut se poser la question suivante relative à notre problématique : pourquoi enseigner les langues européennes en Afrique/au Cameroun ? En cherchent à répondre à cette problématique centrale, on se frotte à d’autres questions secondaires qui méritent aussi d’être traité de façon systématique. Ainsi, l’apprentissage de ces langues européennes constitue-t-elle un risque d’acculturation et d’aliénation ou un atout pour l’échange culturel pour les apprenants ?
Le but de cet article n’est pas de répertorier tous les auteurs qui ont traité cette question ou de prendre position dans un débat aussi houleux (par son caractère de transnational) et pointu que même mes enseignants et maîtres non pas encore pu s’accorder. Je ne voudrais non plus ici m’inscrire dans le débat sur l’Allemand, langue étrangère (Deutsch als Fremdsprache) et celui de la germanistique interculturelle (interkulturelle Germanistik), puisque c’est l’Allemand qui est la langue que je souhaite étudier la portée pour les jeunes apprenants camerounais. Mais il se pourrait aussi que ce qui est valable pour l’Allemand en contexte camerounais peut l’être aussi pour l’Espagnol, l’Anglais ou même le Portugais –du moment où l’on sait tout de même que cette langue a élaboré la dénomination du Cameroun par la célèbre rivière des crevettes, Rio dos Camaroes.


I- Généralités sur la présence et la connaissance de l’Europe dans les programmes scolaires camerounais


Lorsqu’on parcourt de fond en comble le contenu des programmes scolaires, et peut être même universitaire, on constate une forte présence de l’Europe dans toutes les classes et même dans toutes les matières. L’Europe est incontestablement le centre d’intérêt de l’enseignement en Afrique/Cameroun. On sait comment et pourquoi le justifier vu le faite que c’est l’Europe qui pourrait pour le moment assumer cela, mais « il est cependant un paradoxe qu’il convient de le relever. Plus le monde universitaire africain se désintéresse ou même se méfie de l’Europe en tant qu’objet de recherche, plus celle-ci y est omniprésente » . Par ailleurs cette présence multidisciplinaire de l’Europe dans nos enseignements oriente et façonne le regard des chercheurs africains dans les différentes recherches sur la conception et le fonctionnement du monde, puisque « les paradigmes, les théories et les catégories qui structurent la pratique scientifique en Afrique, et précisément la recherche sur l’Afrique restent globalement européennes. »
Le curriculum des Études Européennes dans les manuels scolaires laisse transparaître à première vu que l’Afrique n’intéresse pas ou plus les Africains ou même ne les jamais intéressés, mais il faut tout simplement revoir les liens historiques (colonisation) et l’héritage colonial qui a fait en sorte que l’Europe devienne comme une partie de nous –étant donné que né avec elle et en elle- avec sa langue et sa culture qui nous offrent le matériau dont on a besoin pour nous découvrir et nous comprendre. C’est pourquoi nous avons besoin de pénétrer profondément dans son imaginaire, comme elle l’a fait chez nous, pour mieux comprendre ce qu’elle pense de nous et pourquoi elle a pu et su s’implanter dans notre subconscient au point où
« Nous ne somme plus totalement extérieurs à l’Europe. Elle est fortement installée en nous sous forme de modalités de compréhension que nous utilisons, de modes de consommations et de vie dans lesquels nous sommes installés, de schèmes de pensée que nous affectionnons, etc. L’Europe en nous n’est pas juste une peau de serpent dont on peut se débarrasser (…) »
S’il faut enseigner ou bien connaître l’Europe, ou plus précisément l’Allemagne, par fascination ou pour un quelconque zèle, c’est là où le problème se pose. S’il faudrait justifier la connaissance de l’Europe par des objectifs interculturels, la réponse à la question demeure tout de même légitime. Et pour trouver la réponse à cette question, il faut à mon avis, s’intéresser à l’Europe afin de se parer pour l’affronter avec des armes plus efficaces. En me référent à Edward SAID qui suggérait en 2003 la création d’un département d’études Américaines dans le monde Arabe pour mieux connaître ceux-ci (bien entendu les Américains) car :
« Le monde arabe connaît trop mal l’Amérique et n’est donc pas en mesure de comprendre les ressorts de son action. Les États-Unis par contre connaissent à fond le monde arabe, sa culture, son histoire. Dans les relations entre les deux mondes, c’est celui qui connaît au mieux l’autre qui a toujours l’avantage. Il en est de même pour l’Afrique dans les rapports avec l’Europe. »
La nécessité d’apprendre l’Europe de façon critique s’impose ; s’il faut la combattre ou bien dialoguer avec elle de manière égale, il vaut mieux d’abord la comprendre de manière profonde, et non entrer aveuglement dans elle, en évitant le risque d’acculturation, et en faisant d’elle un objet d’étude stratégique et dynamique.
Le fait de ne point s’intéresser à l’Europe nous éloigne de plus en plus d’elle et ne nous permet pas d’entrer au plus profond de son imaginaire, vu que jusque là « nous nous sommes contentés de ce que l’Europe nous disait d’elle-même. » Pour revenir aux langues étrangères, c’est le même schéma qui est de mise. A travers les livres d’allemand inscrits aux programmes scolaires par exemple, je veux réitérer ici « Ihr und Wir Plus », on s’imprègne du concept de l’Allemagne et de l’image qu’ils ont construit sur l’Afrique et les Africains. En effet : « En observant les européens en train de s’observer au moyen de la littérature, on apprend donc à connaître leurs modalités d’introspection et d’autoévaluation » . Par analogie à l’Allemand on peut comprendre à partir de cette assertion que les textes qui nous parlent de l’Allemagne transmettent leur culture et aussi leur civilisation.
Avant de passer à la dimension interculturelle de l’enseignement des langues étrangères, il est justifiable de circonscrire les domaines d’études où l’on peut étudier l’Allemagne. Je fais ainsi allusion au concept d’Allemand, langues étrangère tel que développé par Alois Wierlacher qui, selon lui, devrait favoriser un dialogue fructueux entre le soi (das Eigene) et l’autre (das Fremde) , même si ce dernier fut vivement critiqué par les théoriciens de l’ « Ecole de Hanovre », sous la houlette du Professeur Leo Kreutzer de l’université de Hanovre et du Professeur Alioune Sow (de regretté mémoire).


II-Echanges culturelles et dimension interculturelle dans l’apprentissage des langues étrangères


Sans vouloir tout d’abord dans cette partie structurer mon analyse autour de la langue allemande en général dans un contexte africain ou camerounais avant de me focaliser sur le manuel au programme des lycées et collèges, puisque celui-ci devrait même être le corpus.
Incontestablement le but de l’apprentissage d’une langue étrangère c’est d’accéder à une autre culture, étant donné que : « apprendre une langue étrangère c’est plus qu’apprendre un système de signes et de sons étrangers. Cela permet de communiquer avec une autre culture. » Mais en accédant à une autre culture, comme le montre la citation ci-dessus, on ne doit pas oublier qu’il s’agit d’un dialogue entre deux cultures.
De manière générale « le concept d’une germanistique interculturelle suppose la rencontre de la culture allemande avec d’autres cultures. » Il s’agit ici de la rencontre de deux ou de plusieurs cultures où l’on apprend sur l’autre (l’étranger) pour un enrichissement lors des contacts culturels. C’est pourquoi «il faut une germanistique qui permet d’apprendre sur les Allemands et sur nous-mêmes et non où le refus de soi est la norme. » Le danger serait donc d’apprendre tout sur l’autre complètement jusqu’à renoncer à soi-même. L’Africain ou le Camerounais s’intéressant à la langue allemande doit donc penser à ce « danger » ou bien à ce risque avant de chercher à réfléchir sur la langue et la culture allemande. L’Allemagne ou l’Europe ne viendra pas le faire à la place des camerounais ou des Africains, d’où les Africains eux-mêmes doivent créer leur concept qu’ils présenteront au monde, du moins à partir du concept des Européens, pour mieux se positionner dans le concert des nations, mais avant cela il faut connaître de fond en comble l’imaginaire européen ainsi que leur vision et partition du monde, qui se trouve peut être dans leurs textes, plus ou moins dans nos livres scolaires.
Pour cependant mieux s’imprégner ces textes, « la nécessité réside de toute urgence sur le faite que les camerounais maîtrisent leurs langues maternelles, ou une autre langue similaire ainsi que la littérature camerounaise avant d’étudier la littérature et la langue allemande pour une bonne connaissance de l’Allemagne mais aussi du Cameroun. » La langue allemande doit permettre, comme je l’ai dit plus haut, aux apprenants de mieux s’enraciner dans leurs cultures d’une part, mais aussi une bonne appropriation de l’autre d’autre part.


La demande de cet article pourrait apporter ma modeste contribution à ce débat. Pour tout dire, les élèves ne doivent plus craindre l’aliénation dans les manuels « Ihr und Wir Plus », mais savoir qu’ils vont à la rencontre de l’autre, en acquérant les connaissances sur lui, pour le découvrir, afin de mener une réflexion sur eux-mêmes et leur entourage. Le risque d’aliénation est donc évitable ici puisqu’on ne s’intéresse plus seulement à la langue et à la culture allemande ou encore des choses que notre entourage ne connaît pas ; bien au contraire on cherche non seulement à connaître les Allemands, leur société, mais aussi ce qu’ils disent et pensent de nous.

 

Par: FOGANG TOYEM

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