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TIMBA BEMA :: Confidences de Max Lobe ou de la quête identitaire

Par Le 21/12/2016

Dans Actu magazine

CLIJEC le Mag' - Max Lobe

Février 2016. Lausanne ployait sous un hiver qui n’en était pas vraiment un. Je sortais d’un café au centre-ville. Rencontre avec des amis. Je démarrai ma voiture. Il était 21h. Le journal venait de se terminer à la radio, RTS[1], cette chaine qui m’est soudain devenue chère le jour où, sur YouTube, je suis tombé sur une longue interview[2] que Marthe Moumié et Ernest Ouandié avaient accordée à un journaliste de cette chaine, peu après l’assassinat de Félix Moumié à Genève. Je bouclai ma ceinture de sécurité et je lançai ma voiture dans la rue calme, baignée dans l’ambre des réverbères. A la radio commença l’émission Le grand entretien, animée par Anik Schuin. L’invité était Max Lobe, qui venait présenter son nouveau roman, Confidences[3]. Ma première réflexion fut de me dire: il est très prolixe, ce Max Lobe. Je prêtai l'oreille, curieux d’en savoir plus sur ce roman, et c'est alors que j'entendis : la décolonisation du Cameroun. Cette fois j'augmentai le volume, et redoublai d’attention: histoire occultée, génocide, Ruben Um Nyobè, etc. Pour moi, qui pense que la littérature doit être transgressive, et qui dans mon parcours a constaté que le contentieux de décolonisation du Cameroun n'est pas liquidé, je m’étais réjouis qu'un auteur traitât ce sujet au travers d’une fiction. Avant le terme de l'émission je savais déjà que je devais me dépêcher de lire ce roman. Le samedi suivant je me rendais  dans une bibliothèque du centre-ville où j'ai mes habitudes pour en faire l'acquisition, avec l’idée de le lire immédiatement. Mais, chose étrange, je le laissai sur mon bureau deux jours, caressant de temps à autre la couverture agréablement lisse, peut-être par crainte de ce que j’allais y découvrir. Bref je fus saisi d'appréhension. Parfois il m’arrivait de l’ouvrir par endroit, de lire quelques lignes, de le refermer et de réfléchir sur l'extrait que je venais de lire. Enfin, poussé par un je ne sais quoi d’irrésistible, je sus que l’heure d’entamer la lecture de Confidences avait sonné.

L’un des deux narrateurs du roman, "Je", est un immigré camerounais qui vit à Genève, tout comme l'auteur. Un jour, il assiste à une conférence sur l’essai Kamerun !  Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971[4] de Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa et Thomas Deltombe. Il en sort bouleversé. En effet, il ignorait l’histoire de Ruben Um Nyobè, l’un des principaux animateurs du mouvement indépendantiste UPC[5]. Il décide alors de retourner au pays, pour en savoir plus sur l’engagement de ce héros. Par l'entremise de plusieurs oncles, il finit par rencontrer Makon qui le présente à sa mère Mâ Maliga, l’autre narratrice du roman, qui vit dans le village Song Mpeck, qui est également présenté comme celui de Ruben Um Nyobè. Cette dernière a été un témoin de l’action politique menée par l’UPC, ainsi que de la terrible répression du système colonial français, pour qui l’émancipation des camerounais de sa zone d’influence n’était pas à l’ordre du jour. A ce stade on peut se poser la question de savoir ce qui anime la quête du narrateur "Je"? Comment est-il possible qu'il ignorait dans les grandes lignes l'histoire de Ruben Um Nyobè ? Enfin, pourquoi n'est-il pas directement allé à la source, à savoir la famille de celui-ci, dont l'épouse est encore en vie, au lieu de se contenter de ce qu’on pourrait appeler un témoin périphérique, qui reconnait elle-même n'être pas la plus habilitée à raconter cette histoire ?

Une brève revue de la production romanesque de Max Lobe nous permettra d’apprécier le sens de sa démarche dans Confidences. En 2011, il publie son premier roman, L’enfant du miracle, qui raconte l’itinéraire de Paul, un garçon efféminé, aux jambes fines, mort-né et revenu miraculeusement à la vie, raillé par les autres enfants. Au bénéfice d’une bourse, il va poursuivre ses études à Lausanne où là non plus il ne sent pas à sa place. En 2013, dans 39 rue de berne, un jeune homme homosexuel raconte les déboires de sa mère venant du Cameroun et vendue dans le milieu de la prostitution à Genève par son frère. Le rapport avec le pays d'origine est une fois de plus traité ici. En 2014, La trinité bantoue met en scène le malaise d’un jeune homme homosexuel venant du Bantouland dans une société européenne raciste. Le rapport avec le pays d’adoption, la Suisse, est cette fois-ci le thème traité. On constate donc que l’histoire personnelle de l’auteur est le sujet de ses œuvres, et Confidences devrait être envisagé dans cette perspective. En effet, après avoir exploré les déterminants de sa personnalité dans l’histoire immédiate de son pays d'origine et deson pays d'adoption, Max Lobe recherche cette fois les causes profondes dans l'histoire de la décolonisation de son pays d’origine, car elle constitue le cadre historique expliquant son exil futur. Sur ce point l'intuition de l'auteur nous semble juste parce que les équilibres politiques observables de nos jours au Cameroun sont le produit de cette période charnière. De plus, elle a foncièrement marqué la capacité de camerounais à changer le cours de leur histoire, installant dans les mentalités le sentiment qu'aucun changement positif de la société n'est possible, et pire encore, qu’une action collective, impliquant tous les camerounais, ne pouvait que se solder sur un échec. Bien plus qu’une tentative de retrouver la mémoire oubliée de Ruben Um Nyobè, la quête du narrateur "Je" est plutôt d’ordre identitaire, au regard de son éloignement vis–à–vis de son pays natal.

De prime abord, on est frappé par l’ignorance du narrateur "Je" au sujet de Ruben Um Nyobè. Ce d’autant plus que, comme les précédents héros de l’auteur, "Je" a vécu un certain temps au Cameroun avant de s’exiler, et il parle parfaitement la langue Bassa, puisqu’il est Bassa, donc du même groupe ethnique que Ruben Um Nyobè. Son ignorance est donc frappante car on se serait attendu à ce qu’il connaisse au moins, dans ses grandes lignes, le parcours politique de Ruben Um Nyobè. Cette amnésie valide l’hypothèse que le souvenir de Ruben Um Nyobè est sciemment occulté par le pouvoir en place à Yaoundé. Or, sans pour autant dédouaner les autorités camerounaises, force est de constater que la production intellectuelle des leaders de l’UPC et de Ruben Um Nyobè en particulier est si faible, en quantité s’entend, qu’on est tenté de conclure que la raison de cette amnésie est plutôt à rechercher de ce côté. Au cours du temps, cette lacune sera néanmoins comblée par une large production de textes ayant trait à la décolonisation. On peut par exemple citer Remember Ruben de Mongo Beti paru en 1974,L’Upc : une révolution manquée ? d’Abel Eyinga paru en 1991, Le Carnet politique de Ruben Um Nyobè, d’Enoh Meyomesse paru en 2009, et Le problème national camerounais, Ecrits sous maquis, trois ouvrages d’Achille Mbembé, parus respectivement en 1984, 1989 et 1996.

Par ailleurs, la mémoire orale de Ruben Um Nyobè a été transmise par son épouse qui n’a eu de cesse de rappeler le sens de sa lutte à ceux qui l’approchaient. Même si sur la fin elle est devenue réticente à en parler, invoquant justement le droit à l’oubli, il n’en demeure pas moins qu’elle a aussi contribué à la survie du héros nationaliste dans les consciences. D’où vient donc ce sentiment tenace que la mémoire de Ruben Um Nyobè est occultée, sentiment également relayé par le narrateur "Je" ? D’un point de vue politique le programme de l’UPC qui visait à l’indépendance puis à la réunification des deux Cameroun a été repris tel quel par le président Ahmadou Ahidjo. En outre, les autres partis nationalistes africains, ayant accédés au pouvoir, ont montré leur faillite à inscrire durablement leurs pays sur le chemin de la prospérité. Ainsi, il semble donc légitime que l’opinion pense que le programme politique de l’UPC a été réalisé, et que les choses n’auraient pas été différentes si ce parti avait pris les rênes du Cameroun. Toutefois, il est à porter au crédit de l’auteur que les graves violations de leurs droits subies par les populations ayant soutenues l’UPC sont encore passées sous silence, et le terme de génocide, employé pour qualifier la répression coloniale, prend tout son sens. Il apparaît donc que ce sont les évènements ayant émaillés la décolonisation du Cameroun, et non pas la mémoire en tant que telle de Ruben Um Nyobè, qui ont été occultés. Pour preuve, le narrateur "Je", qui dès le début roman annonçait qu’il irait à la découverte de Ruben Um Nyobè, finira plutôt par rétablir la mémoire de ce génocide perpétré par le pouvoir colonial français contre les populations du pays Bassa, au travers de Mâ Maliga.

Que savons-nous de Mâ Maliga ? D’abord elle est la narratrice principale de Confidences. Ses propos sont traduits de la langue Bassa dans un français « courant[6] » par l’autre narrateur "Je". Son nom en langue Bassa, signifie Vérité, Sincérité. L’auteur nous a confié que Mâ Maliga est un personnage de fiction, quoique inspirée d’une femme qu’il avait rencontrée en vue de l’écriture de son roman. Elle est née en 1935 à peu près. Ruben Um Nyobè avait donc 22 ans à sa naissance. Quand il commence à militer pour l’indépendance, disons en 1948, date de la création de l’UPC, elle avait 13 ans. Dans les années 50 son âge oscillait donc entre 15 et 25 ans. Elle avoue d’ailleurs que c’est par sa mère, impliquée dans le mouvement indépendantiste et féministe, qu’elle a compris les revendications de Ruben Um Nyobè et ses compagnons, quoiqu’elle ait obtenu le CEPE[7]. On peut donc se demander quelle est sa légitimité pour parler de Ruben Um Nyobè ? D’ailleurs, elle ne parviendra qu’à dresser un portrait distant du héros nationaliste, ne permettant pas au lecteur d’accéder à la personnalité de celui-ci. Par contre, elle permettra à "Je" une immersion dans la période précédant la décolonisation. Par ailleurs, la quête identitaire de "Je" trouvera avec Mâ Maliga une réponse car, étant guérisseuse, et connaissant l’art de soigner le corps avec les plantes, elle le soignera avec les mots, le réconciliera avec lui-même, en le reconnectant avec le drame subit par le peuple Bassa dont il est issu. Ainsi la boucle est bouclée, la mémoire est retrouvée, "Je" est réconcilié avec lui-même.

En refermant Confidences de Max Lobe, j’ai tout de suite eu envie de partager ma joie de l’avoir lu dans une vidéo postée sur YouTube[8]. Lausanne ployait toujours sous cet hiver qui n’en était pas vraiment un. Dans ma tête, cette question lancinante : combien de personnes au Cameroun liront ce roman ?


Rédigé par l'érivain Timba Bema - Cet article a été publié pour la première fois dans le Magazine des littératures africaines "CLIJEC, le Mag"en Novembre 2016.

 


[1]Radio Télévision Suisse

[2] https://www.youtube.com/watch?v=kPcgHZc5L4U

[3]Confidences est paru aux Editions Zoé en 2016

[4]Kamerun !  Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971est paru aux éditions La Découverte en 2011

[5]Union des Populations du Cameroun

[6]Dans le sens de français populaire se caractérisant par une foule d’interjections, des répétitions et la création de nouveaux mots.

[7]Certificat d’Etudes Primaires et Elémentaires

[8] https://www.youtube.com/watch?v=9qixZJ6Dbdw

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